Emérance a écrit l'histoire qui suit en octobre 2012 à partir des mots de Marguerite Duras dans « L’amant de la Chine du Nord » et de son interview par Bernard Rapp dans sa maison de Neauphle à propos de son livre (archive INA).
L’Indochine de l’entre-deux guerres
Il est riche mais chinois. Elle est blanche mais pauvre. C’est une adolescente de 15 ans mais il est séduit dès qu’il la voit. Il vient la chercher tous les jours à la sortie du collège mais elle ne sait pas encore qu’elle l’aime aussi.
La France d’après guerre
Elle écrit son roman « Un barrage contre le Pacifique » dans lequel elle n’a de cesse de rendre compte de la lutte effrénée de sa mère pour préserver ses plantations des inondations provoquées par la houle océanique. Elle y aborde sa prostitution avec le Chinois, dans le but de rapporter un peu d’argent à la maison.
Frôlant le Prix Goncourt, le livre est un succès qui financera l’achat de sa maison à Neauphle-le-Château, sa revanche de petite misère. Lorsque la porte s’ouvrira, elle tombera en amour devant le parc. C’est ici qu’elle pourra enfin s’isoler pour écrire, à côté de l’étang et face au château d’eau.
Un jour, le Chinois lui avait téléphoné pour lui dire qu’il l’aimait toujours…
En 1984, dans sa maison de Neauphle
Elle revient longuement sur sa liaison avec le Chinois en écrivant son roman autobiographique : « L’amant ». Elle le rencontre pour la première fois sur le Mékong. Il l’invite à monter dans sa voiture et à l’accompagner jusqu’à son pensionnat. Il y prend goût et l’attend toutes les fins de journées pour l’emmener dans sa garçonnière où il l’éveille au plaisir charnel. Elle ment à sa mère et à son frère ainé, de peur qu’ils la tuent pour cet acte. Alors que sa mère voudrait que le Chinois épouse sa fille, celui-ci fait un mariage arrangé par sa famille. L’heure de quitter définitivement l’Indochine sonne pour elle. Elle part vers la France, chargée du parfum d’Extrême-Orient.
Le livre reçoit le prix Goncourt.
Un jour, le Chinois lui avait téléphoné pour lui dire qu’il l’aimait toujours…
En 1991
L’amant est porté à l’écran mais elle dit que toute image est obscène et que rien n’égale ses mots, à elle, pour décrire cet Amour qui l’a marqué à vie ! Lorsqu’elle en parle, l’émotion l’envahit encore avec force.
Face à ce constat et lorsqu’elle apprend la mort de son Amant, elle en reprend l’écriture et publie, juste avant la sortie du film et cinq ans avant son décès, un autre livre « L’amant de la Chine du Nord ».
« Elle, l’enfant, reste celle du livre… Fardée sous son chapeau d’homme, elle est folle de lire, de voir, insolente, libre… Lui, l’élégant Chinois, est un peu différent, se transformant pour le cinéma. C’est le vrai : plus robuste, plus de beauté, plus de santé, plus d’audace, aussi… Il est moins timide face à l’enfant. Il lui faut un grand courage pour venir la chercher tous les jours devant tous les blancs. Il lui faut vaincre sa famille, ses domestiques… Lorsque la douleur de l’enfant est intenable, elle devient bonne à en crier, elle prend tout le corps, toute la tête, toute la pensée… Et sa main, à lui, la douceur de sa peau, la douceur de la Chine… »
Elle écrit ce nouveau livre, dans la peur d’oublier les détails de l’histoire qui est écrite en elle, pour la devancer et se la réapproprier.
Elle dit à la fin de l’introduction du livre qu’elle est redevenue écrivain de roman ! Pour elle, le besoin d’écrire puise sa source dans la vengeance. Vengeance sur l’image, vengeance sur l’Amour perdu, vengeance sur ses souvenirs de l’Asie ?
Peut-être comme sa revanche sur la misère de sa famille en achetant sa maison de Neauphle-le-Château avec l’argent que lui rapporta la publication de « Un barrage contre le Pacifique » ?
Un jour, le Chinois lui avait téléphoné pour lui dire qu’il l’aimait toujours…